La vie sur terre et au ciel d’un amoureux de Dieu, 1ère partie

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1. Question : Dieu est-il la seule réalité ?

Sri Chinmoy : Oui, Dieu est la seule Réalité. Il est la seule Réalité sur cette terre comme au Ciel. Cependant la Réalité a des enfants, qui sont les réalités. En touchant le champ de la manifestation, la Réalité unique devient des réalités multiples. Mais chaque réalité individuelle incarne la Réalité absolue. La Réalité est la racine et la graine, et les réalités sont les millions de branches, de feuilles et de fruits de l’Arbre de la Réalité. Pour notre entendement limité, la Réalité unique devient des réalités infinies sous des formes infinies. Mais pour ce qui est de la Réalité unique, c’est Dieu. Dieu est la Graine-Réalité, l’Arbre-Réalité, les Branches-Réalité, les Feuilles-Réalité. Dieu est, éternellement, l’unique Réalité. Et nous ne devenons nous-mêmes cette Réalité unique que lorsque nous réalisons Dieu et Le servons à Sa propre manière.

2. Question : Quelle est la meilleure manière d’harmoniser le monde intérieur et le monde extérieur ?

Sri Chinmoy : La meilleure manière d’harmoniser le monde intérieur et le monde extérieur est de devenir le message du don de soi. Si, lorsque nous sommes dans la vie extérieure, nous nous donnons à la vie intérieure, et lorsque nous sommes dans la vie intérieure, nous nous donnons à la vie extérieure, nous harmonisons alors à la fois le monde intérieur et le monde extérieur.

Dans la vie extérieure, qu’entendons-nous par se donner soi-même ? Nous devons avoir le sentiment que la joie que nous pouvons éprouver provient en réalité de l’appel de la vie intérieure. Cela nous amène tout naturellement à nous donner à la vie intérieure. Nous devenons la satisfaction réelle et nous en donnons pleinement crédit à la vie intérieure.

Dans la vie intérieure, à l’inverse, nous devons sentir que l’appel intérieur à lui seul ne suffit pas. Celui-ci doit être porté jusque dans la vie extérieure, afin qu’il la transforme en une joie et une félicité constantes. En faisant ainsi, nous aurons le sentiment de nous donner sur le plan extérieur.

La vie intérieure n’est parfaite que lorsque nous voyons un sourire dans la vie extérieure ; et celle-ci n’est parfaite que lorsque nous comprenons qu’elle ne peut rien faire sans le don de soi conscient et constant de la vie intérieure.

3. Question: Une faiblesse humaine peut-elle jamais être divine ?

Sri Chinmoy : Une faiblesse humaine ne peut jamais être divine. La faiblesse d’un être ordinaire est tout à fait humaine. Comment serait-elle alors de nature divine ? En revanche, si l’on considère la même tendance chez un être divin, elle peut nous sembler pareille à nos propres faiblesses, mais il faut savoir que cette apparente faiblesse humaine n’est alors qu’un masque. Lorsqu’un homme, au moment de mourir, s’écrie : « Ô Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? » il fait preuve de faiblesse humaine. Mais lorsque le Christ a dit : « Père, pourquoi m’as-Tu abandonné ? » ce n’était en fait pas une faiblesse humaine qui s’exprimait par sa bouche. C était son identification à l’ignorance humaine. Lorsqu’il s’identifia à l’ignorance humaine, il dit : « Pourquoi m’as-Tu abandonné ? », mais lorsqu’il s’identifia au Divin, il dit — lui, la même personne : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Si le Christ, au lieu de s’identifier à l’humain, était resté en permanence dans le Divin —qui était sa possession et son essence — personne n’aurait jamais essayé de l’imiter ou de devenir comme lui. Les gens auraient dit : « Oh, vous êtes divin, vous êtes grand, vous êtes suprême. Vous demeurez toujours au plus haut niveau. Comment pourrions-nous devenir comme vous ? » S’il ne fait qu’un avec nous, dans notre entendement, s’il accepte aussi les souffrances qui sont les nôtres, au même niveau, s’il dit les mêmes choses que nous, les gens peuvent y voir une faiblesse humaine, mais le Suprême saura que c’est précisément cette attitude qui permettra à l’humanité d’avoir l’espoir et l’assurance qu’elle pourra un jour, accéder à son tour à la Divinité. Car les êtres humains verront en lui un être qui tantôt est aussi désarmé qu’eux et tantôt peut devenir complet, intégral, parfait, divin et suprême en toute chose. Prendre la faiblesse d’un être divin pour une faiblesse humaine serait donc une erreur. Il faut considérer ce qu’il fait et pourquoi il le fait : est-ce parce qu’il est ignorant ou bien parce qu’il ressent que c’est la seule manière d’amener des êtres humains jusqu’au But divin ?

Un être divin agira comme une mère qui éduque son enfant. L’enfant marche à quatre pattes et il essaie de se tenir debout. Que fait la mère ? Parfois elle fait semblant de ne pas arriver à se tenir sur ses jambes. Elle fait exprès de tomber, ce qui remplit l’enfant de joie. Alors, lorsque la mère s’est tenue debout une ou deux fois, l’enfant en fait de même. Si la mère restait toujours debout et que l’enfant ne la voyait jamais tomber, l’apprentissage serait bien plus difficile. Tandis que lorsque la mère tombe, l’enfant voit que c’est un vrai jeu ; et lorsqu’elle se relève, cela donne à l’enfant un peu d’ espoir et d’inspiration nécessaire pour finalement y parvenir lui-même.

Le Christ dissimulait le Divin dans l’humain. Il disait que l’homme ne doit pas et ne peut pas rester humain à jamais. Il peut et doit devenir le Divin. Mais les faiblesses d’un être humain ordinaire, qui est aux prises avec d’innombrables problèmes d’ordre émotionnel, vital et autres, sont sans aucun doute tout à fait humaines. Elles n’ont rien de divin. Cependant ces faiblesses peuvent se transformer un jour. La colère d’aujourd’hui peut devenir énergie divine, force divine. La faiblesse d’aujourd’hui peut aisément se transformer en la force et la capacité divine de demain. Mais tant que la faiblesse humaine ne sera pas transformée, tant qu’elle demeurera dans l’être humain ordinaire dénué d’aspiration, encore en chemin vers la perfection, elle demeurera une faiblesse humaine. Nous ne pouvons pas nous comparer au Christ et aux autres sauveurs du monde parce que nous ne savons pas ce qui est en nous, alors qu’eux le savaient. Ils ne faisaient que mettre un masque afin que l’humanité n’eût pas l’impression d’être séparée d’eux par un gouffre béant.

4. Question : Quelle différence y a-t-il entre partager une information et se livrer à des commérages ?

Sri Chinmoy : Les commérages ne font que satisfaire notre vital. Ils nourrissent le non-divin, les forces destructives qui sont en nous. Et une fois qu’ils ont détruit le monde qui nous entoure —et malheureusement, nous n’en sommes conscients qu’une fois le mal fait— c’est nous qu’ils détruisent. Les commérages anéantissent nos qualités intérieures. Et en aucun cas ils n’illuminent quiconque. Au contraire, ils tentent d’éclipser le cœur d’autrui, tout comme notre propre cœur d’aspiration.

En revanche, lorsqu’on partage une nouvelle, il se produit une expansion de notre conscience dans un sens divin. Si nous partageons une nouvelle, nous ne le faisons pas avec fierté, avec le sentiment d’être « les premiers à l’avoir appris ». Dans un partage, il y a une extension de notre connaissance. Quelle que soit la nouvelle, qu’elle soit bonne ou mauvaise, triste ou divine, la partager nous donne aussitôt un sentiment d’expansion. S’il s’agit d’une triste nouvelle, cela nous aidera à nous sentir plus fort ; lorsque nous apprenons une mauvaise nouvelle, nous nous sentons en quelque sorte mis en garde et prémunis. Et si nous partageons une bonne nouvelle, il nous semble que c’est quelque chose que nous avons accompli nous-même. C’est comme une première pierre sur laquelle nous allons bâtir un édifice.

Les racontars et commérages, par contre, n’ont rien d’une expansion de la conscience. Ils sont l’offrande, consciente ou non, d’un message de destruction. Si je vous raconte des potins, cela veut dire que je vous dis du mal de quelqu’un. Je vous confie des nouvelles destructrices, qui sont comme une arme que vous pourrez utiliser à votre tour pour anéantir la personne en question. Que les commérages soient graves ou qu’ils semblent sans conséquence, il y a toujours derrière eux une destruction. Vous ne pouvez pas tuer quelqu’un qui se tient devant vous. Mais je vous assure que lorsque vous vous livrez à des racontars à son sujet, vous le tuez dans les monde intérieurs. Lorsque vous écoutez ou que vous répandez des racontars sur une personne. Vous l’assassinez intérieurement. Et comme si le mal que vous avez commis ne vous suffisait pas, vous demandez à un autre de frapper la personne à son tour afin que sa destruction soit totale. Non content de l’avoir détruite, vous dites à votre ami : « Détruis-la encore plus, de sorte qu’elle ne puisse plus exister sur cette terre. » Voilà ce que sont les commérages.

Dans le partage d’une nouvelle, il n’y a pas de motivation négative. Vous avez appris quelque chose et vous le partagez en toute innocence. Mais lorsque vous vous livrez aux commérages, vous devez savoir que vous ne faites qu’assassiner une personne dans les monde intérieurs. Et non seulement elle, mais aussi toute la divinité qui l’habite, cette divinité qui est le message véritable de l’unité inséparable. Dès que vous vous laissez aller à raconter des commérages, vous déchirez le ruban de l’unité universelle. Sur le plan extérieur, vous ferez en sorte que les autres ne s’en aperçoivent pas. Mais même si personne ne remarque rien, si votre culpabilité n’est pas dévoilée, dans les mondes intérieurs, vous êtes déjà pris au piège. Et là, vous ne pouvez pas vous échapper. Les racontars sont une déplorable tendance de notre nature humaine, que nous entretenons.

5. Question : Comment peut-on transformer la nature humaine ?

Sri Chinmoy : Il existe de nombreuses manières de transformer la nature humaine. Mais je voudrais ici en mentionner deux principales. L’une d’elles consiste à faire descendre en nous la lumière divine et toute-illuminante du Suprême, en élargissant notre réceptivité. C’est la manière la plus importante. Tant que la nature humaine n’est pas transformée, elle est emplie d’obscurité. Et l’on ne peut chasser l’obscurité qu’en faisant entrer la lumière ; il n’y a pas d’autre moyen. Nous devons donc faire descendre la lumière en nous, consciemment et constamment, puis élargir notre réceptivité. Plus celle-ci sera grande, plus abondante sera la lumière que nous pourrons contenir.

Une autre manière consiste à voir en chaque être humain la lumière divine et rien d’autre. Le simple fait de voir le non-divin en nous-même et en notre prochain nous rend incapables de transformer notre nature et la nature humaine en général.

Si au contraire nous nous appliquons à ne voir en permanence que la lumière divine chez les autres, celle-là même que nous faisons descendre d’en-haut, et ce, quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent ou quoi qu’ils soient, la nature humaine ne pourra qu’en être transformée. Si nous voyons la lumière en chacun et aussi en nous-même, la transformation de la nature humaine et de la nature terrestre devient non seulement possible, mais inévitable. C’est donc en faisant descendre la lumière et en élargissant notre réceptivité, mais aussi en voyant la lumière chez autrui que nous transformons la nature humaine et notre propre nature.

6. Question : L’insomnie est-elle une bénédiction ou une malédiction ?

Sri Chinmoy : L’insomnie est une véritable malédiction pour une personne ordinaire car celle-ci a besoin de sommeil. L’insomnie aura des répercussions sur sa santé ; elle ne pourra pas fonctionner correctement dans le monde. En revanche, pour un chercheur spirituel qui a appris l’art de la méditation, ne pas beaucoup dormir ou préférer ne pas dormir afin de méditer davantage pendant la nuit est une bonne chose. S’il souhaite méditer trois ou quatre heures par nuit et qu’il peut le faire sans que cela n’affecte sa santé, c’est merveilleux.

Certains aspirants sont très sincères et veulent méditer pendant des heures et des heures. Au cours de la journée, ils ont la possibilité de méditer quatre ou cinq heures, et ils souhaitent en faire autant la nuit. Souvent, en dépit de leurs efforts, ils s’endorment au bout d’un moment. Mais si la nature ne leur apporte pas le sommeil et que cela ne nuit pas à leur santé, c’est une bénédiction, car ils n’ont pas à lutter contre le sommeil pendant leur méditation. Le sommeil a la bonté de ne pas venir les importuner.

En Inde, il y a un dieu particulier appelé Shani. Ici, vous l’appelez Saturne. C’est le dieu du renoncement. Les gens ordinaires le redoutent et le prient de leur accorder la grâce de ne pas venir à eux. Alors qu’ils invoquent la présence et la bénédiction des autres dieux, ils demandent à Shani de bien vouloir ne pas venir. « Ignore-nous, lui disent-ils, ce sera ta plus grande bénédiction. » De même, si le sommeil ne vient pas à lui, l’aspirant considérera cela comme une réelle bénédiction. Les quelques heures qu’il pourra méditer la nuit s’ajouteront à sa méditation de la journée. Et plus il pourra méditer avec ferveur et dévotion sans que son corps en soit affecté, mieux cela sera. Mais naturellement le manque de sommeil est un fléau pour celui qui n’est pas un chercheur spirituel et qui n’est pas destiné pour l’instant à la vie spirituelle. Son corps en souffrira, si ce n’est déjà le signe que quelque chose ne va pas.

7. Question : Comment puis-je maintenir ma joie en permanence ?

Sri Chinmoy : Vous maintiendrez votre joie en permanence si vous avez le sentiment qu’elle ne vous appartient pas. Votre joie n’est pas apparue parce que vous avez accompli quelque chose pour vous-même, pour Dieu, ou pour l’humanité. Non ! Sentez qu’elle est un don inconditionnelle du Suprême. Et puis sentez que cette joie à laquelle vous goûtez n’est autre que le Suprême Lui-même. Le Suprême venu à vous sous forme de Joie ; alors, puisque le Suprême est permanent et éternel en vous, votre joie est elle aussi permanente.

Essayez donc d’abord de sentir que le Suprême en vous a offert cette joie non pour ce que vous avez fait, mais parce qu’Il vous aime. Ce n’est pas le résultat de votre action mais quelque chose que le Suprême Lui-même veut vous donner. Ensuite, au moment où vous ressentez cette joie, ayez le sentiment que vous goûtez non pas à la joie en tant que telle, mais au Suprême Lui-même. Ce n’est pas qu’Il vous a envoyé de la joie et qu’Il se trouve ailleurs. Non. Il est venu Lui-même à vous sous forme de joie. Si vous pouvez être conscient de cela, vous serez en mesure de conserver votre joie de façon permanente, car Celui qui est venu à vous comme Joie est permanent et infini. Voyez-Le et ressentez-Le comme Joie infinie ; alors votre joie demeurera à jamais.

8. Question : Les Bénédictions de Dieu sont-elles inconditionnelles ?

Sri Chinmoy : Les Bénédictions de Dieu sont toujours inconditionnelles. Il nous fait don de Paix, de Lumière, de Béatitude et de Puissance en fonction de notre capacité à recevoir. Il nous donne toujours de manière inconditionnelle. Mais si nous Lui offrons notre gratitude, Ses dons s’accroissent. Il nous donnera un dollar inconditionnellement, mais avec notre gratitude, Il nous en donnera dix. Ce n’est pas qu’Il attende de nous quoi que ce soit ; simplement, si nous acceptons Ses cadeaux de tout notre cœur et avec dévotion, Il est satisfait et nous donne encore plus. Lorsque Dieu nous donne un peu de Paix, nous n’avons pas à Lui offrir quoi que ce soit en retour. Non, Il donne parce qu’Il a envie de donner. Ce n’est même pas pour répondre à nos implorations. Mais si nous acceptons Son cadeau avec joie, avec amour et avec gratitude, alors Sa satisfaction à notre égard s’accroît. Notre joie et notre gratitude font qu’Il nous donne alors beaucoup plus, car Il sent qu’en nous Son cadeau ne fera que se développer. En nous Sa Capacité grandira, Sa Lumière grandira, Sa Divinité grandira encore et encore, tandis qu’en quelqu’un d’autre, elles seraient étouffées.
Cela dit, même si nous n’acceptons pas Ses Bénédictions avec gratitude, même si nous les recevons avec ingratitude, et sans y accorder la moindre attention, Il continuera malgré tout à nous donner de la même manière inconditionnelle. Il S’offre quand même car Il sent que s’Il ne donne pas aux ingrats, leur vie sera totalement détruite. Alors, dans Son infinie Bonté, Il donne à chacun et chacun reçoit selon sa réceptivité. Si au moment de recevoir on offre sa gratitude, son amour, sa joie, on voit tout naturellement sa réceptivité s’accroître. Dieu sent alors qu’il y a un passage, une porte grande ouverte. Dieu peut à tout instant entrer dans cette pièce et y rester. Là, Il grandira très facilement, car la gratitude de l’aspirant spirituel nourrit et chérit les Graines de Bénédiction de Dieu.

9. Question : Qu’est-ce qui donne le plus de joie à Dieu ?

Sri Chinmoy : Dieu éprouve la plus grande joie lorsqu’un chercheur spirituel Le revendique comme son bien propre, en vertu de sa totale prise de conscience de ce que Dieu représente pour lui. C’est lorsqu’un chercheur ressent que Dieu est la partie la plus parfaite et la plus illuminée de lui-même, et qu’il fait partie intégrante de Dieu, que la joie de Dieu est à son comble. Celle-ci culmine également lorsque le chercheur ressent que la partie obscure, non-illuminée de lui-même va être totalement transformée et que sa propre transformation en la partie la plus haute et la plus illuminée de lui-même, qui n’est autre que Dieu, n’est qu’une question de temps.

Même la partie non-divine du chercheur est Dieu, puisque Dieu est toute chose. Mais le chercheur veut se transformer en la partie divine de lui-même afin de devenir Dieu. Considérons que la tête du chercheur spirituel représente le Dieu absolument parfait et ses pieds le Dieu imparfait. Il veut donc transformer ses pieds d’ignorance en la lumière de sagesse qui est dans sa tête. Il ne veut pas rester au pied de l’arbre de la perfection ; il veut grimper jusqu’à sa cime. C’est donc lorsque nous avons le sentiment que Dieu est la partie la plus élevée et la plus illuminée de nous-même, et que nous faisons intégralement partie de la plus haute Réalité — sachant qu’il nous faut encore en prendre conscience pour ensuite devenir cette Réalité, puis manifester sa Hauteur ultime — que Dieu éprouve la plus grande joie.

10. Question : Quel est le plus grand trésor de l’homme ?

Sri Chinmoy : Le plus grand trésor de l’homme ordinaire réside dans l’appréciation que le monde lui porte et dans sa possession de celui-ci. Le plus grand trésor de l’homme spirituel est son abandon conscient, constant, joyeux et inconditionnel à la Volonté du Suprême. On peut dire également qu’avant qu’il ne réalise Dieu, son plus grand trésor est l’imploration qui s’élève de son cœur. Et qu’après avoir réalisé Dieu, c’est le sourire qui descend de son âme.

11. Question : Doit-on espérer une récompense pour un service désintéressé ?

Sri Chinmoy : La question est en elle-même contradictoire. Lorsque nous utilisons le terme service désintéressé, nous ne pouvons ni ne devons attendre quoi que ce soit en retour. S’il s’agit de service dévoué, alors on peut en attendre une certaine récompense. Mais lorsqu’il devient désintéressé, il ne faut rien attendre. Le jour où nous serons capables d’accomplir un véritable service désintéressé sans le moindre désir ou attente d’une récompense, le résultat obtenu dépassera de loin toutes nos espérances. Sans parler de la joie abondante que procure l’action désintéressée en elle-même. Nous n’avons pas à attendre de résultat ou d’effet a posteriori. Le service désintéressé est en soi la plus grande joie et la plus haute récompense.

12. Question : Comment peut on éviter de se nourrir d’illusions ?

Sri Chinmoy : Il faut d’abord voir ce que cela nous a apporté jusqu’à présent. Rien du tout ! Au contraire, nos illusions n’ont fait que créer en nous une destruction consciente. À chaque fois, notre vie ordinaire peut avoir le sentiment que puisqu’il s’agit de nous, nul ne se soucie de ce que nous faisons. Il n’y a personne pour constater cette tromperie envers nous-même. Or Dieu n’est pas indifférent ; Il l’observe, et Il S’en inquiète. Le Divin en nous, le réel en nous voit ce qui se passe et s’en soucie. Lorsque le réel en nous est témoin du leurre que nous entretenons en nous-même, il y perd ses propres forces. Plus nous nous nourrissons d’illusions, plus nous nous affaiblissons.

Une fois que nous savons ce que nous perdons à ce jeu trompeur, nous sommes prêts à essayer de l’éviter. La meilleure manière de ne plus nous duper consiste à accepter consciemment et constamment la lumière qui est plus que disposée à pénétrer dans toutes nos activités, à chaque seconde de notre existence. Si nous acceptons la lumière, si nous désirons sincèrement qu’elle soit présente à chaque instant dans toutes nos actions, il n’y aura plus trace d’illusions en nous.

13. Question : Dieu est-il économe ou dépensier ?

Sri Chinmoy : Dieu n’est ni économe ni dépensier. Il est ce que Sa Lumière de Compassion ou Sa Lumière de Sagesse Lui dictent d’être. Il utilise Sa Lumière de Compassion pour ceux qui sont encore endormis spirituellement, et Sa Lumière de Sagesse pour ceux qui sont pleinement ou partiellement éveillés. Mais la Compassion de Dieu n’est pas dépensière et Sa Sagesse n’est pas économe. Ce ne sont que deux armes puissantes qu’Il utilise. Avec ces armes formidables, Dieu inspire et insuffle de l’énergie aux chercheurs spirituels comme aux non-chercheurs afin qu’ils agissent correctement. Il incite les non-chercheurs à sortir de leur sommeil, et une fois que ceux-ci sont éveillés et qu’ils sont devenus des chercheurs, Il les inspire à s’élancer au plus vite vers leur But.

14. Question : Comment peut-on cheminer seul et cependant connaître le sentiment d’unité ?

Sri Chinmoy : Il faut tout d’abord connaître la différence qui existe entre être seul et se sentir seul. On peut se sentir seul lorsqu’on est entouré de centaines de prétendus amis, ou même lorsqu’on est avec des amis véritables. Si l’on ne ressent pas la présence de Dieu dans son cœur, le sentiment de solitude est inévitable, même si l’on est au milieu d’une foule ou entouré de nombreux amis.

Cheminer seul n’implique pas que l’on soit indifférent ou distant. Cela signifie que son heure a sonné. L’on doit à présent s’élancer vers son But sans attendre ses proches, pour qui l’heure n’a pas encore sonné. Si l’heure de quelqu’un sonne une minute avant la vôtre ou une minute après, ce n’est pas votre responsabilité. Lorsque sonne votre heure, vous partez, et s’il se trouve qu’elle sonne en même temps pour un autre, vous pouvez faire route ensemble. Mais si l’autre commence avant vous ou après vous, cela ne veut dire que vous ne pourrez pas établir votre unité avec lui. Vous pouvez aisément vous sentir en unité avec ceux qui vous précèdent comme avec ceux qui vous suivent, et cette unité peut se maintenir tandis que vous cheminez seul. Vous êtes seul parce que nul n’est à vos côtés. Mais il y a quelqu’un derrière vous et quelqu’un devant, et vous pouvez facilement éprouver un sentiment d’unité à leur égard, du moment qu’ils avancent sur la même route et vers la même destination.

15. Question : Être humble implique-t-il que l’on se place délibérément au dernier rang ?

Sri Chinmoy : Non. Être humble ne veut pas dire cela. S’effacer ostensiblement, aller s’asseoir au dernier rang pour montrer aux autres que l’on est humble n’est nullement une preuve d’humilité. Et lorsqu’on prend place derrière quelqu’un plutôt que devant lui ou à ses côtés parce qu’on sait que cette personne est supérieure, n’est pas non plus l’humilité du cœur. C’est simplement la reconnaissance du fait que si l’on est inférieur à quelqu’un, il est normal que celui-ci soit placé devant. La véritable humilité est tout autre. C’est le sentiment d’unité. Etre humble veut dire donner de la joie à autrui. Si vous n’avez pas su établir votre unité intérieure avec les autres, alors vous pouvez essayer de leur faire sentir qu’ils sont au moins aussi importants que vous, sinon plus.

Si vous pouvez faire sentir aux gens, sur le plan extérieur, qu’ils sont vraiment importants, ils vous apprécieront. Sur cette terre, chacun recherche la joie. Mais comment l’obtient-on ? Non pas en se plaçant devant les autres, mais en les mettant en avant. La joie véritable vient du don de soi, et non de la possession, ou de l’assertion de notre suprématie. Lorsque nous laissons les autres éprouver de la joie en premier, notre joie n’en est que plus complète, plus parfaite, plus divine. C’est en faisant ressentir aux autres qu’ils sont aussi importants ou plus importants que nous que nous révélons notre humilité véritable.

La vraie humilité se manifeste lorsqu’on offre de la joie aux autres en premier.

16. Question: Le vital inférieur peut-il se transformer par la négation de soi ?

Sri Chinmoy : Non, jamais ! Aujourd’hui nous renierons le vital inférieur ; demain, ce sera le corps physique ; après-demain, le mental ; le jour suivant, nous renierons même le cœur. Quelques jours plus tard, nous renierons l’âme ; et nous finirons par renier Dieu Lui-même. Lorsqu’on commence à chanter le chant du reniement, cela n’a plus de fin. On finit par renier fort habilement Dieu Lui-même.

La négation de soi n’est pas, et ne saurait être la solution. Celle-ci réside dans l’acceptation et dans la transformation. Il y a le vital supérieur qui aspire, et le vital inférieur qui n’aspire pas du tout. Il nous faut accepter le vital inférieur afin de le transformer. Mais une fois que nous l’avons accepté, nous devons savoir à quel moment nous pouvons y pénétrer. Il faut attendre le moment propice. Ce n’est que lorsque le cœur et le mental sont pleinement illuminés et inondés de lumière que nous pouvons entrer dans le vital inférieur. Si nous y pénétrons avant d’y être pleinement préparé, l’obscurité du vital dévorera le peu de lumière que nous possédons. Tant que l’heure n’aura pas sonné, nous ne nierons pas l’existence du vital ou ses besoins. Nous accepterons son existence, mais il nous faudra être prudent. Car nous savons que pour l’instant notre force est très limitée. Nous devons donc commencer par développer nos muscles intérieurs. Lorsque nous serons devenus très fort intérieurement, nous entrerons délibérément dans le vital inférieur en vue de le transformer ; car si une partie de notre être — que ce soit le corps, le vital ou le mental — demeure inchangée, nous ne pourrons pas devenir un instrument complet ou parfait du Suprême absolu.

17. Question : La souffrance est-elle nécessaire à la purification de l’être ?

Sri Chinmoy : Du point de vue spirituel le plus élevé, la souffrance n’est absolument pas nécessaire. Mais ici, sur terre, certains sont très rusés. Ils ont l’impression que Dieu ne leur vient à l’esprit que lorsqu’ils souffrent. Autrement, ils n’y pensent jamais. Dieu n’est pour eux qu’une histoire ancienne, inutile.

Dans le Mahâbhârata, Kunti, la mère des Pandavas, eut une bonne idée : elle avait pris l’habitude de prier le Seigneur Krishna de la maintenir en permanence dans la souffrance, de sorte qu’elle puisse constamment penser à lui. Elle avait le sentiment qu’en étant heureuse, il ne lui serait plus nécessaire de penser à lui ou de méditer sur lui. La plupart des gens ne prient pas Dieu de les faire souffrir pour pouvoir penser à Lui et ainsi progresser. Mais ils ne prient et ne méditent effectivement que lorsqu’ils sont contraints de nager dans l’océan de la souffrance.

Or la souffrance n’est pas du tout nécessaire. Nous progressons à partir de la joie, vers une joie plus grande, une joie abondante, qui nous mène à la Joie éternelle et à la Joie infinie. Si la souffrance vient à nous, nous devons cependant l’accepter comme une chose qu’il nous faut dépasser et transformer en joie. Nous devons nous comporter comme un guerrier héroïque : accepter tous les obstacles, les vaincre, et transformer toute limitation en liberté. Les gens ordinaires n’apprennent jamais rien s’ils ne passent pas par l’épreuve de la souffrance. Dans leur cas, la souffrance a une certaine valeur. Elle est nécessaire pour ceux qui sont au plus bas niveau de conscience. Mais lorsque nous évoluons spirituellement, nous comprenons que la souffrance n’est pas nécessaire. On peut facilement s’en passer. Si elle survient, bien sûr, nous nous efforcerons de la transformer à l’aide de notre lumière intérieure, de sorte qu’elle devienne finalement une force supplémentaire. Mais nous ne l’appellerons pas à nous.

Nous nous efforçons de triompher de l’obscurité. Pourquoi ? Parce que si nous en sommes vainqueurs, elle devient alors notre chère amie, la lumière. Mais lorsque c’est l’obscurité qui gagne, elle tente de nous dominer. Lorsqu’il y a une bataille entre la lumière et l’obscurité, cette dernière essaie toujours de vaincre la lumière en vue de la dominer. Or la lumière s’efforce de triompher de l’obscurité dans une intention différente. Elle veut la vaincre pour la transformer.

Lorsque l’obscurité sera devenue semblable à la lumière, elle sera un instrument parfait à la disposition du Suprême. Nous devons vaincre la souffrance et la transformer en joie afin qu’elle puisse s’ajouter à notre joie déjà existante. Et c’est de cette joie dont nous avons besoin pour nous purifier et pour manifester Dieu sur terre.

18. Question : Une nature ambitieuse aide-t-elle à progresser plus rapidement ?

Sri Chinmoy : Dans la vie spirituelle, l’ambition est une chose dangereuse. Elle représente en soi une chute. Dans la vie ordinaire, si vous êtes dépourvu d’ambition, vous êtes comme un mouton ; vous ne pouvez pas progresser. Mais dès lors que vous avez opté pour la vie spirituelle, votre aspiration est comme la biche la plus rapide. Vouloir, par ambition, atteindre le but à une heure ou à une date fixée d’avance, c’est commettre une erreur himalayenne. L’ambition réside dans le vital, tandis que l’aspiration vit dans le cœur. Là où règne l’ambition, on rencontre toujours un fâcheux esprit de compétition. On est ambitieux parce qu’on veut surpasser quelqu’un ; on veut atteindre quelque chose que les autres n’ont pas atteint. Avec de l’ambition, on risque beaucoup de ne pas se diriger vers son but véritable. L’ambition veut nous conduire vers une destination qui n’est peut-être pas la nôtre, mais celle de quelqu’un d’autre. Parce que le chant de l’ambition n’est autre que celui de la supériorité par rapport aux autres, il nous mène, que nous en soyons conscients ou non, vers un autre but que le nôtre.

Lorsqu’on aspire, en revanche, ce n’est pas parce que d’autres aspirent ou que l’on cherche à les dépasser. Pas du tout ! Là, il n’y a pas d’esprit de compétition. On aspire par une absolue nécessité intérieure. On aspire parce que l’on sent que l’on a le devoir impérieux d’atteindre son but promis, afin de servir au mieux le Suprême Absolu. L’aspiration mène jusqu’à Dieu afin de Le réaliser, de Le révéler et de Le manifester. Sans Le réaliser, Le révéler et Le manifester, on ne peut trouver de satisfaction.

Mais si vous ne suivez pas une voie spirituelle, l’ambition vous aidera à progresser. Si vous êtes ambitieux, vous ne passerez pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre à dormir. Vous allez vaincre la léthargie et faire face aux vicissitudes de la vie afin de parvenir à vos fins. Vivekananda avait coutume de dire aux Indiens qui se prélassaient dans les plaisirs de l’indolence d’aller jouer au football. « Vous n’avez pas besoin de lire la Gîtâ. Leur disait-il. Si vous jouez au football, vous réaliserez Dieu plus vite que si vous lisez la Bhagavad-Gîtâ. » Ces gens étaient d’une telle léthargie qu’ils étaient dépourvus d’énergie vitale. Pour eux, lire la Gîtâ était l’impossibilité même. À peine ouvraient-ils le livre qu’ils sombraient dans l’autre monde, le monde du sommeil. Vivekananda savait qu’en jouant au football et en recevant quelques coups de leurs opposants, cela leur donnerait un peu de force et d’énergie. Après cela, s’ils se mettaient à lire la Gîtâ, ils pourraient rester éveillés pendant au moins cinq minutes. Nos sages de l’Inde ont proclamé avec force : « Nayam atma balahimena labhio », « L’âme ne peut être conquise par les faibles. »

Vivekananda demandait aussi à certains de ses disciples d’aller dire des mensonges ; il leur disait qu’il en prendrait la responsabilité. Ces gens-là ne bougeaient pas d’un pouce. S’ils disaient la vérité, c’était simplement parce qu’ils étaient trop paresseux pour inventer un mensonge, dussent-ils le faire pour sauver leur propre peau. Vivekananda leur disait : « Si vous vous imaginez que le simple fait de ne pas mentir vous assurera le salut, alors n’importe quel arbre, n’importe quelle chaise ou autre objet inanimé est plus près du salut que vous. L’arbre ne raconte pas de mensonges ; la chaise non plus. Et pourtant l’être humain réalisera Dieu bien longtemps avant l’arbre ou la chaise. » Alors il disait : « Maintenant, faites au moins quelque chose. Dites quelques mensonges. J’en prends la responsabilité. » Ce qu’il voulait dire par là était que s’ils allaient dire des mensonges, cela leur vaudrait quelques gifles, et cela les réveillerait. Certains se diraient : « Qu’ai-je fait ? Pourquoi dire des mensonges ? Au lieu de mentir, je ferais mieux de commencer mon voyage spirituel en disant la vérité. » Mais Vivekananda disait : « Ce qui compte, c’est de commencer votre voyage. En ce qui vous concerne, vous ne pouvez le faire que si vous commencez par dire des mensonges. Alors allez-y, et si cela est une mauvaise voie, toutes les critiques du monde vous aideront à découvrir la bonne voie et à vous y engager. »

C’est ici que l’on retrouve l’idée de l’ambition. L’ambition est nécessaire pour ceux qui sont encore profondément endormis et pour ceux qui sont encore dans le monde de la suprématie du vital. Mais une fois qu’ils sont entrés dans le monde du cœur, où le sentiment d’unité règne en maître, l’ambition doit prendre fin. À ce moment-là, leur attitude sera la suivante : « Si j’atteins ma destination aujourd’hui, c’est aussi bien que si vous atteignez la vôtre, car vous et moi ne faisons qu’un. Nous sommes comme les membres d’une même famille, ou d’une équipe. Si l’un de nous accomplit quelque chose d’important, tous les autres auront légitimement raison d’être emplis de fierté, car ils font partie du même groupe. » Là où il y a aspiration, il y a unité, et dans l’unité, le besoin de compétition disparaît. Mais, bien sûr, s’il n’y a ni aspiration ni sentiment d’unité, si l’on est dans le monde du désir, l’ambition a alors un sens. Tant que l’on ne mène pas une vie spirituelle, l’ambition est une aide ; mais cette même ambition finit par devenir un grand obstacle, un véritable ennemi, si elle n’est pas transformée en aspiration pure dès lors que l’on a adopté la vie spirituelle.

19. Question : Existe-t-il une manière simple d’aborder la réalisation de Dieu ?

Sri Chinmoy : Oui, il en existe une. C’est la soumission *. Si nous abordons la réalisation de Dieu par la soumission, nous réaliserons Dieu très vite et très facilement. Mais il nous faut connaître la raison de notre soumission : si nous nous abandonnons à Dieu par simple impuissance ou parce que nous n’obtenons pas de nos actions le résultat espéré, cela n’a aucune valeur. Nous devons sentir que le Suprême nous a demandé de jouer le jeu de la soumission. En obéissant à Son ordre, nous Le satisfaisons. Puis, si nous faisons un pas de plus, nous sentirons que c’est Lui qui joue le jeu de la soumission en nous. Si nous nous identifions à Dieu sur deux plans de conscience différents, nous verrons que c’est Lui qui, en tant qu’humain en nous, joue le rôle de la soumission, tandis qu’au même moment, en tant que divin en nous, Il joue le rôle du Seigneur. Si nous parvenons à comprendre cela, notre réalisation sera intégrale et parfaite.1


GDL 18 fr. * Le terme soumission est utilisé par Sri Chinmoy dans le sens d’abandon à Dieu. Il ne s’agit pas, dit-il, de la soumission d’un esclave à son maître, mais d’une soumission de la partie inférieure de l’être à la partie supérieure. (N.d.T.)

20. Question : Pourquoi notre voie est-elle si difficile ?

Sri Chinmoy : Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec vous sur ce point. Bien sûr, si je sympathise avec les disciples qui n’aspirent pas, je rejoindrai votre opinion ; mais pas si je m’identifie avec ceux qui aspirent ! Pourquoi notre voie est-elle si difficile ? D’une part, nulle voie spirituelle ne peut être facile ; mais d’autre part, aucune voie ne peut être considérée difficile si l’on comprend la réelle valeur du But.

Pourquoi adopte-t-on une voie spirituelle ? Simplement parce que l’on sent que si l’on chemine sur cette voie, on atteindra un jour une destination qui est inondée des qualités divines du Suprême. Tel est notre But. Et naturellement, plus le But est élevé, plus le voyage sera ardu.

Nous devons savoir que nous sommes en train d’avancer sur un chemin. C’est-à-dire que nous faisons une chose que les autres ne font pas. Alors, aussi longtemps que nous le ferons, notre But, notre satisfaction, seront radicalement différents des leurs. Mais par ailleurs, notre satisfaction sera plus précieuse, plus durable, plus comblante. Lorsque nous allons à l’école pour acquérir la connaissance et la sagesse, notre satisfaction s’accroît parce que nous y gagnons quelque chose. Si je reste à la maison sans étudier, cela veut dire que je veux rester ignorant. Hier, vous étiez un ignorant comme moi, mais aujourd’hui, une nouvelle lumière a point en vous et vous voulez aller de l’avant ; vous voulez devenir un homme de connaissance et de sagesse. Hier, nous en étions au même point, mais à présent vous avez avancé d’un pas. Hier nous partagions la même satisfaction. Aujourd’hui, vous avez fait un pas en avant pour trouver une satisfaction nouvelle qui vous comblera davantage.

Vous avez naturellement fait un effort pour atteindre votre objectif. Chaque fois que l’on fait quelque chose de nouveau, cela paraît difficile. Pour un petit bébé qui marche à quatre pattes, il est vraiment dur se lever et de faire un pas. Commencer à marcher est aussi difficile. De même, lorsqu’il essaie de courir, l’enfant a du mal. Tout ce qui est nouveau semble ardu. Il en va de même dans la vie spirituelle : avant de commencer à cheminer sur une voie, quelle qu’elle soit, il est très facile de demeurer immergé dans l’ignorance. Mais dès l’instant où nous voulons traverser à la nage la mer de l’ignorance pour accéder à celle de la connaissance et de la sagesse, la difficulté nous paraît grande. Car tout nouveau mouvement dans la vie demande un effort. Ce n’est pas notre voie qui est difficile. Elles le sont toutes, au début. Une voie implique un mouvement et le mouvement est porteur de nouveauté. Ce qui est nouveau semble ardu, car c’est quelque chose d’apparemment inconnaissable. Mais dès que l’on a fait le premier pas et que l’on est prêt à faire le second, le premier semble avoir été très facile. Lorsqu’on vient d’entrer au jardin d’enfants, il paraît impossible d’aller à l’école. Mais une fois sorti du jardin d’enfants, lorsqu’on est bien établi dans l’école primaire, on se rend compte à quel point la connaissance et la sagesse du jardin d’enfants étaient faciles à acquérir.

Au début, tout ce que nous faisons nous semble difficile parce que c’est inconnu. Mais ce qui est inconnu n’est pas pour autant inconnaissable. À peine entrés dans le monde intérieur, nous nous y sentons totalement perdus. Mais ce monde ne nous demeure pas inconnu à jamais. Nous finissons par le maîtriser au bout d’un certain temps. Alors, les difficultés s’évanouissent. Ce qui est inconnaissable aujourd’hui ne sera plus qu’inconnu demain. Et après-demain, cela sera connu. Et le jour suivant, ce ne sera plus qu’un simple fait, dont nous dirons : « Oh, je l’ai toujours su ».

Aujourd’hui un petit garçon m’a demandé : « Avez-vous toujours connu Dieu ? » Je lui ai répondu : « Oui et non. Avant de réaliser Dieu, j’avais le sentiment de ne pas toujours Le connaître, mais le jour où je L’ai réalisé, j’ai pris conscience du fait que je L’avais toujours connu. Je L’ai connu depuis le début de la création, lorsque nous avons été tous deux responsables de la création. Lorsque vous réaliserez Dieu, vous sentirez vous aussi que vous et Lui avez été des partenaires également responsables, et que vous avez toujours été ensemble. Il a voulu que vous jouiez le rôle du son tandis qu’Il jouait celui du silence. Alors Dieu a dit : « Je resterai ici, et toi, tu descendras. Je demeurerai auprès de toi tandis que tu joueras le rôle du son. Et d’en-haut, Je jouerai le rôle du silence.»

Avant la réalisation de Dieu, nous ne pouvons pas dire franchement, avec toute la conviction de notre cœur, que nous connaissons Dieu depuis toujours. Une personne non-réalisée aurait tort d’affirmer cela. Mais une fois qu’on a réalisé Dieu, dire que l’on n’a pas toujours connu Dieu serait une erreur véritable. Ce serait une sorte de fausse modestie.

21. Question : Dieu peut-il éliminer la souffrance du monde?

Sri Chinmoy : Oui, Dieu peut éliminer la souffrance du monde et Il le fait. Mais qui veut sincèrement l’élimination de la souffrance ? Nous nous comportons tous comme des chameaux. Le chameau mange des épines de cactus jusqu’à ce que sa bouche soit en sang ; et puis il recommence à en manger. D’une certaine manière, consciemment ou inconsciemment, le chameau aime les épines. Nous, les êtres humains, chérissons aussi la souffrance, consciemment ou non. Et tant que nous chérirons la souffrance, celle-ci demeurera sur terre.

22. Question: À quoi sert la souffrance ?

Sri Chinmoy : L’explication de la souffrance est double. Sur le plan humain, la souffrance purifie. Bien qu’elle ne soit pas notre but, nous essayons de nous purifier à travers elle. Nous ne voulons pas réitérer les actes qui ont été à l’origine de notre souffrance. Mais sur le plan spirituel, elle n’est pas nécessaire. Car là, nous évoluons de la lumière vers davantage de lumière, une lumière abondante, la Lumière infinie ; et d’un peu d’amour vers davantage d’amour, un amour débordant, l’Amour infini. À ce moment-là, il n’y a plus de souffrance.

Pour l’instant, nous n’aimons pas la vérité qui est en nous ; nous n’aimons pas le réel en nous. Voilà pourquoi nous souffrons. Lorsque, sur le plan physique et humain, nous nous éprenons de quelque chose d’irréel, nous en souffrons. Si la souffrance survient, que pouvons-nous faire ? Nous devons en tirer le meilleur parti. La prendre comme une chose inévitable, ou comme une bénédiction. Elle est une bénédiction dans le sens où nous devons en tirer un certain avantage. Le bienfait que nous y puiserons est que nous n’allons pas répéter les mêmes fautes. Si nous souffrons, nous devons prendre conscience des erreurs que nous avons commises. Alors, automatiquement, naîtra en nous un sens de purification. Cela dit, il n’est pas nécessaire de passer par la souffrance pour atteindre la pureté. Non ! Souffrir n’est pas une condition pour réaliser Dieu. Ce qui est nécessaire, c’est d’aimer la Vérité, aimer la Lumière. À nouveau je vous répète, en vertu de toute ma connaissance spirituelle, que nous évoluerons de la lumière vers une plus grande lumière. Si nous laissons la lumière entrer en nous et demeurer en nous, nous ne connaîtrons pas la moindre souffrance.

23. Question : Que vaut-il mieux avoir : un mental qui questionne ou un cœur qui accepte ?

Sri Chinmoy : Voyons d’abord le mental qui questionne. Peut-être dites-vous : « Je pose des questions parce que je comprends pas. Je veux comprendre. » Mais sachez que le mental qui questionne est le précurseur du mental qui doute. Avec le mental interrogateur, on ne s’arrête jamais. Aujourd’hui vous questionnez quelqu’un, et demain vous doutez de lui. Et comme vous doutez, vous questionnez. Aussi vaut-il mieux ne pas avoir un mental interrogateur. Si vous êtes en quête de la réalité avec un mental qui cherche, c’est bien. Mais dans l’autre cas, le mental interrogateur est soit le précurseur, soit l’ami intime du mental qui doute. Les deux sont très mauvais. Le cœur qui accepte est toujours bon. Vous acceptez la Réalité, mais pas l’ignorance. Si vous acceptez ce que vous voyez, l’âme qui se trouve dans le cœur rejettera ou transformera ce qui doit l’être. Vous ne rejetez rien vous-même ; vous ne faites qu’accepter la réalité telle que vous la voyez. Laissez à l’âme le soin de rejeter ou de transformer. C’est toujours la meilleure solution.

24. Question : Arrive-t-il à l’âme de pleurer, d’implorer ?

Sri Chinmoy : Tout dépend de ce que vous entendez par implorer. Le désir nous contraint à implorer d’obtenir la célébrité et la renommée, la prospérité matérielle et ainsi de suite. Mais les implorations de l’âme n’ont rien à voir avec cela. L’âme possède une imploration éternelle, qui est de révéler Dieu et de Le manifester. C’est pour cela qu’elle est venue en ce monde. Tandis qu’elle révèle Dieu, l’âme sent qu’il y a encore tant à faire. La révélation qui est en train de se produire n’est rien en regard de la révélation de la manifestation qui va avoir lieu.

Ainsi donc, l’âme possède une imploration, qui n’est pas l’imploration humaine, l’imploration de ce monde, tournée vers les possessions terrestres. C’est une imploration intérieure, une supplication divine, un cri immortel pour la révélation et la manifestation de Dieu.

25. Question : Arrive-t-il au cœur de sourire ?

Sri Chinmoy : Le cœur spirituel, le cœur intérieur, ne sourit que lorsqu’il voit Dieu et qu’il ressent Sa satisfaction. Lorsqu’il voit Dieu sourire, il sourit à son tour ; pas une seconde avant. Lorsque le cœur aspirant voit que Dieu sourit, il sent que son existence a un but sur cette terre. Mais le cœur aspirant ne sourira jamais avant d’avoir vu Dieu sourire.

26. Question : Comment puis-je aider mon âme à sourire plus souvent ?

Sri Chinmoy : En devenant un instrument conscient, dévoué et soumis de Dieu, le Pilote Intérieur. Comment y parvenir ? Vous pouvez devenir un instrument dévoué si vous comparez ce que vous étiez auparavant à ce que vous êtes devenu à présent. Cela ne veut pas dire que vous passerez votre temps à fouiller dans le passé. Non ; le temps d’un bref instant, vous penserez à ce que vous étiez il y a vingt ans et à ce que vous êtes devenu. Qui vous a rendu tel que vous êtes aujourd’hui ? C’est Dieu qui est en vous, agissant à travers votre âme. Prenant conscience de cela, vous ne pourrez qu’être envahi de gratitude. Si vous pouvez offrir de la gratitude à Dieu, Il fera grandir votre pouvoir de service dévoué, d’amour, de dévotion et de soumission.

27. Question : La volonté de L’homme et celle de Dieu sont-elles toujours en opposition ?

Sri Chinmoy : Cela est vrai dans une certaine mesure. L’homme peut se dresser inconsciemment contre la Volonté de Dieu, et il peut aussi le faire consciemment. Il arrive parfois que nous sachions quelle est la Volonté de Dieu, notre conscience nous le dit, mais nous n’y accordons pas la moindre attention. Il nous semble que le fait de suivre les instructions de notre conscience ne nous apportera pas de satisfaction. Notre ego n’en sera nullement gratifié. Alors nous n’écoutons pas notre âme. Ce faisant, naturellement, nous nous opposons à la Volonté de Dieu. Bien souvent, aussi, nous n’avons rien contre la Volonté de Dieu, mais ne la connaissons tout simplement pas. Nous connaissons notre propre volonté, mais nous ignorons celle de Dieu. Dans ce cas, nous ne contrecarrons pas volontairement Sa Volonté. On ne peut pas dire que notre volonté soit en opposition avec la Volonté de Dieu. Ce qu’il nous faut savoir, c’est que si nous désobéissons, sciemment ou non, à la Volonté de Dieu, nous entrons dans l’ignorance et notre progrès s’en trouve retardé. L’enfant ne sait peut-être pas ce que le feu peut lui faire. Mais s’il y met la main, le feu le brûlera. En ce qui me concerne, je sais que le feu va me brûler, et pourtant je touche les flammes et je me brûle. Ainsi, une opposition inconsciente a le même résultat qu’une opposition consciente. À la seule différence que celui qui n’est pas conscient est impuissant. En ce cas, la Grâce de Dieu descendra plus vite. Mais pour celui qui commet une mauvaise action bien qu’il en connaisse la conséquence, la Grâce de Dieu ne descend pas tout de suite. Un certain temps sera nécessaire. Il faudra qu’il recommence à aspirer avec beaucoup de sincérité et de dévotion pour attirer la Grâce de Dieu. Alors, naturellement, celle-ci descendra.

28. Question : La musique peut-elle exprimer davantage que les mots?

Sri Chinmoy : Sans aucun doute. La vraie musique ne dépend pas de mots. Mais si la musique est accompagnée de paroles, cela ne l’empêche pas pour autant d’être divine, de susciter l’émotion de l’âme ou l’élévation du cœur. Loin de là ! La musique peut très bien comporter des paroles. Mais celles-ci ne lui sont pas nécessaires pour exprimer la réalité, la divinité et l’immortalité. Sans paroles, la musique peut offrir son immortalité à l’âme aspirante d’un chercheur. Mais elle peut aussi le faire avec des paroles.

Du point de vue le plus élevé, la musique ne peut se limiter à des mots ; elle n’est ni un concept, ni une idée. La musique est la Réalité sous sa forme la plus haute. Dieu est le Musicien Suprême, et Il joue Sa Musique suprême à travers nous, Ses instruments choisis. Il joue sur nous à Sa propre manière. Il n’a pas besoin d’instruments humains, ou de mots, pour transmettre Son Message, pour S’exprimer. Cela, Il peut le faire en silence, sans l’aide du monde sonore.

29. Question : La méditation est-elle la réalité la plus élevée ?

Sri Chinmoy : Lorsqu’un chercheur spirituel en est à ses débuts, la méditation représente en effet pour lui la réalité la plus haute. Mais lorsqu’il devient un chercheur avancé, il sait que la méditation ne fait que mener à cette réalité supérieure. Pour celui qui a été longtemps plongé dans l’ignorance, qui n’a pas prié une seule minute dans sa vie, la méditation est, au début, ce que sa conscience connaît de plus élevé. Mais après quelques années de pratique, il découvre que la méditation n’est pas en soi la plus haute réalité. Celle-ci est quelque chose qu’il atteint, ou en quoi il évolue tout en cheminant sur la route qui a pour nom méditation.

30. Question : La Paix est-elle l’enfant de l’Amour divin ?

Sri Chinmoy : La Paix est l’enfant de l’Amour divin, et en même temps, l’Amour est l’enfant de la Paix. Si nous prions Dieu ou méditons sur Lui dans notre vie vitale, la descente de l’Amour divin purifiera notre vie émotionnelle. Une fois celle-ci purifiée, nous goûterons alors à la paix. Ici, l’Amour a donné naissance à la Paix ; l’Amour est la mère. Mais lorsque nous méditons dans le monde physique, c’est-à-dire dans notre corps physique brut, qui peut être aussi bien agité, agressif ou léthargique, nous nous efforçons de faire descendre la Paix d’en-haut. Lorsque la Paix descend, nous éprouvons un sentiment de satisfaction ou de joie. Et nous transmettons cette joie à autrui sous forme d’Amour. L’Amour qui a pour fondement la Paix est naturellement l’enfant de la Paix. Ce n’est que si nous sommes en Paix que nous pouvons aimer. Lorsqu’une mère a l’esprit en paix, elle aime son enfant. Si elle n’est pas en paix, elle s’irrite contre lui et le frappe à tout venant. Où est l’amour, alors ? Elle dira à son enfant : « C’est pour ton bien que je fais cela. » Mais en réalité ce n’est que son manque de sagesse et sa nature non-divine qui l’amènent à le frapper. Si la mère possédait une paix abondante, elle serait une expression d’Amour incessante et permanente envers ses enfants.