Question: Je sais que la frustration et le sentiment de chagrin sont des forces négatives ; pourtant, je me sens souvent triste. Pourriez-vous dire quelque chose à propos de ces forces ?

Sri Chinmoy: La frustration est sans aucun doute mauvaise. Toutes les formes de frustration sont des précurseurs de la destruction et la frustration ne se détruit pas, elle détruit. Si la frustration pouvait être détruite, notre vie serait à nouveau heureuse, mais malheureusement, cela n’est pas ce qui se produit.

Maintenant, voyons le sentiment de chagrin. Supposons qu’un membre de notre famille vienne de décéder. Au début, nous sommes tristes, parce que nous regrettons la personne disparue qui nous a aimés et que nous avons également aimée. Dans notre tristesse et notre chagrin, nous intensifions notre unité avec cette personne décédée. Ce sentiment n’est pas mauvais en soi parce que d’une part, nous intensifions notre sentiment d’unité, et que d’autre part, nous faisons descendre de la paix, de la lumière et de la béatitude. Mais si l’on peut maintenir son unité avec l’âme de cette personne, où qu’elle soit, et ressentir sa présence en soi, il n’est pas nécessaire de ressentir de tristesse, ne serait-ce qu’une minute.

Les Maîtres spirituels vivent le chagrin de manière différente. À la mort de son neveu, Sri Ramakrishna pleura toutes les larmes de son corps. Pourquoi ce chagrin ? Il ressentait du chagrin, non pas d’avoir perdu son neveu, mais parce que son neveu n’avait pas réussi à accomplir ce qu’il était venu faire sur terre. Cette âme avait quelque chose à offrir, mais elle n’avait pu le faire à cause de l’intervention de mauvaises forces.

Très souvent, lorsque nous voulons aider les autres et que nous nous identifions à leur chagrin, cela nous procure une certaine joie. C’est quelque chose de très compliqué. Nous essayons d’aider quelqu’un qui souffre, mais intérieurement, sa souffrance nous fait plaisir et nous ressentons un sentiment intérieur glorieux de l’avoir aidé d’une certaine manière. Nous commençons par ressentir un peu de chagrin, et puis nous sommes contents parce que nous nous sentons supérieurs. Nous nous disons : «Je ne souffre pas ; c’est lui qui souffre. je suis au sommet de l’arbre, et il est au pied de l’arbre.» Ce genre de pensée négative nous vient très souvent à l’esprit. En nous identifiant à une personne triste et déprimée et en ne faisant qu’apprécier sa tristesse, nous ne l’aidons pas du tout.

Certaines personnes essaient d’invoquer le chagrin et la souffrance parce qu’ils pensent que cela les amènera plus près de Dieu. Dans la famille des Pandavas, la mère d’Arjuna, Kunti, savait que le seigneur Krishna était un grand maître spirituel. Elle savait que Sri Krishna était Dieu Lui-même. Elle avait ainsi l’habitude de Le prier afin qu’Il lui donne de la peine et des souffrances pour qu’elle ne pense qu’à Lui. Elle pensait que seule une vie de souffrance l’inspirerait à penser à Dieu. Mais ceci est une mauvaise approche de la vérité. Nous n’avons pas besoin d’invoquer de souffrances supplémentaires pour penser à Dieu.

La bonne approche de la vérité se fait à travers la joie et la lumière. L’âme est emplie de joie divine, et cette joie veut venir en avant et s’exprimer à travers le vital. Si le vital ne veut pas s’identifier à la joie de l’âme, il s’oppose consciemment et délibérément à cette joie et lui fait obstacle. À ce moment, le vital dénué d’aspiration préfère souffrir parce qu’il pense qu’en exprimant extérieurement sa souffrance, il s’attirera la sympathie, l’affection et la sollicitude des gens autour de lui. En dépit de sa souffrance, il ressent en fait une joie subtile de manière négative.

Nous pensons très souvent qu’en sombrant dans la tristesse, cela fera venir quelqu’un pour nous consoler, mais c’est une mauvaise idée. Dieu n’approuve pas cette idée. Aujourd’hui, nous décidons d’être triste pour que notre mère, notre père ou notre ami vienne nous consoler. Comme cette consolation et cette attention nous donnent de la joie, nous recommençons le lendemain avec le même espoir de voir quelqu’un venir nous consoler. Mais il est possible que demain, les gens soient fatigués de nous consoler, et que nous soyons alors déçus. Certaines personnes font cela tout le temps. Elles pensent que la meilleure manière de gagner l’attention et l’affection des autres est de leur dire que personne ne fait attention à elles ou bien qu’elles sont totalement désespérées. Mais même si elles sont sincères, personne ne s’occupera d’elles éternellement si telle n’est pas la Volonté de Dieu. La Sollicitude de Dieu abonde toujours dans les situations positives.

Très souvent, la joie psychique veut s’exprimer directement, sans le vital, ni même le mental. Mais au moment où elle est sur le point de s’exprimer, ou bien lorsqu’elle vient juste de s’exprimer, la dépression du vital et le doute du mental entrent dans la joie du cœur et de l’âme. La dépression du vital et le doute du mental entrent immédiatement dans la joie du cœur et de l’âme et agissent comme un tigre féroce. Lorsqu’ils voient cette joie, ils la prennent pour un fruit qu’ils s’empressent de dévorer. À force de voir sa joie constamment dévorée par le mental et le vital, l’âme deviendra plus prudente. Elle exprimera sa joie moins souvent. Elle attendra plutôt que le vital soit purifié et que le mental soit libéré de ses doutes.